PROPOSITIONS POUR ENCOURAGER LE DEVELOPPEMENT DE LA BICYCLETTE EN FRANCE
Rapport parlementaire de Brigitte LE BRETHON
3. Diagnostic


Une politique nationale vélo au milieu du gué

En matière de politique du vélo, comme l’observait Monsieur Armand Jung, Député du Bas-Rhin, dans son rapport remis au Gouvernement en avril 2002, il existe un paradoxe : « Les politiques publiques sont récentes. Pourtant, le dispositif de l’action de l’Etat marque le pas et rencontre ses limites ». Nous ajoutons un second paradoxe : le cadre réglementaire existe, le dispositif d’incitation et de concertation est en place et les actions de terrain sont nombreuses mais l’addition de ces facteurs n’a pas permis à l’ensemble des acteurs de cette politique et de la société d’identifier une « stratégie » nationale pour le développement de la pratique de la bicyclette dans notre pays. Tel est le constat rapide sur lequel s’accorde la majorité des acteurs et dont nous pensons qu’il explique, en bonne partie, les raisons d’un retard de la France par rapport à ses voisins européens, pourtant placés dans des contextes urbains et socio-économiques comparables.

Etat des lieux :

3.1. Trois textes législatifs de références : la LOTI, la LAURE et la loi SRU


• La Loi d’orientation des transports intérieurs
(LOTI) du 30 décembre 1982 texte intégral ,
établit dans son article 1 le « droit qu’a tout usager à se déplacer et la liberté d’en choisir les moyens » et dispose dans son article 28 que « une utilisation plus rationnelle de la voiture » doit être recherchée et qu’il convient « d’assurer une bonne insertion des piétons, des deux-roues et des transports collectifs ». La LOTI crée également les Plans de déplacements urbains, mais les décrets qui devaient en fixer le cadre et le contenu ne sont jamais parus.

• La Loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie
(LAURE) du 30 décembre 1996, texte intégral,
fixe un objectif de « diminution du trafic automobile et (de) développement des modes économes et moins polluants notamment bicyclette et marche à pied » Son article 14 dispose que les agglomérations de plus de 100 000 habitants sont tenues de mettre en œuvre un Plan de déplacements urbains pour un usage coordonné de tous les modes de déplacement et une affectation appropriée de la voirie. L’article 20 de la LAURE stipule que « à compter du 1er janvier 1998, à l’occasion des réalisations ou des rénovations des voies urbaines, à l’exception des autoroutes et voies rapides, doivent être mis au point des itinéraires cyclables pourvus d’aménagements sous forme de pistes, marquages au sol ou couloirs indépendants, en fonction des contraintes et des besoins de la circulation. L’aménagement de ces itinéraires doit tenir compte des orientations du Plan de déplacements urbains lorsqu’il existe ».
• Les conditions d’application de cet article, repris dans le Code de l’environnement (article 228-2), qui s’applique à toute commune quelle que soit sa taille et à toute voirie quel qu’en soit le gestionnaire, ne sont pas précisées par décret.

• La Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain
(Loi SRU), du 13 décembre 2000
modifie dans un souci de développement durable les outils de planification, pour intégrer de manière cohérente dans un projet de territoire, l’ensemble des politiques d’urbanisme, de logement et de déplacements.
Les besoins de déplacements et la circulation automobile doivent être maîtrisés, le stationnement automobile sur voirie doit être limité, la marche et l’usage de la bicyclette doivent être favorisés.
Il convient de souligner que les aspects de cohérence entre politique de déplacements et politique d’urbanisme ainsi que les mesures restrictives relatives au stationnement, très présents dans la législation de ceux de nos voisins européens en avance sur la pratique du vélo, étaient absents de la Loi française avant les dispositions de la Loi SRU.
De toute évidence, les mesures de contrôle de l’urbanisation et du stationnement, dans ces pays, ont très largement contribué à accentuer l’usage des modes alternatifs à la voiture, en créant les conditions d’un développement urbain qui leur a été très favorable. Par ailleurs, cet enjeu nouveau que constitue la mise en cohérence des politiques de déplacements et d’urbanisme, a amplifié le travail inter administrations au sein du ministère de l’Equipement, notamment entre la Direction des transports terrestres et la Direction générale de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction.
Ce cadre et ce pôle de compétences nous semblent devoir être considérés dans la définition du format et de la « localisation » d’une structure de pilotage national de la politique vélo.

3.2. Ces textes législatifs ont été complétés par l’Instruction de la Direction des routes, du 31 octobre 2002, relative à la prise en compte des cyclistes dans les aménagements de voirie sur le réseau routier national. texte intégral
Cette instruction actualise - notamment au regard de l’article 20 de la Loi sur l’air - l’instruction du 2 novembre 1995 qui comportait des recommandations pour la prise en compte des cyclistes dans les aménagements de voirie.
Ce texte vise à impliquer plus fortement les services de l’Etat, en collaboration avec les collectivités locales, dans les politiques de rééquilibrage des modes de déplacements. Les recommandations tiennent compte de la diversité des usages du vélo - utilitaire, récréatif ou sportif – et des aspects intermodaux (vélo et voiture, vélo et transport en commun).
Le texte stipule que « les projets nouveaux doivent, systématiquement, intégrer des aménagements destinés aux cyclistes dès lors qu’ils se situent en milieu urbain ou périurbain. ».
L’instruction rappelle le dispositif de financement de ces réalisations.
Soulignons que l’instruction identifie bien la nécessaire sensibilisation des maîtres d’œuvre et de l’ensemble des services qui instruisent et contrôlent les projets. Ce point est en effet capital car notre pays, comme nous l’avons déjà souligné, a développé une culture automobile très forte et favorisé fort logiquement une « culture routière » auprès des aménageurs qu’il n’est pas aisée de rééquilibrer au profit d’une culture de l’espace public dans toutes ses fonctionnalités.


3.3. Des outils de planification : PDU, SCOT, PLU, Agenda 21…
La Loi assigne aux Plans de déplacements urbains, qui doivent être compatibles avec les Schémas de cohérence territoriale, une diminution de la circulation automobile.
La Loi SRU fait du stationnement des vélos sur le domaine privé une obligation réglementaire.
D’autre part, la gestion du stationnement des vélos, jusqu’alors de la compétence des communes, devient une compétence d’agglomération.
Enfin, la Loi SRU favorise explicitement le stationnement des vélos sur celui des voitures, en fixant des normes minimales, tandis que les Plans locaux d’urbanisme doivent fixer des limites au stationnement automobile en fonction de la desserte en transports collectifs (article 98). Les agendas 21 sont également des outils au service des collectivités pour établir des objectifs locaux de report modal.

3.4. Deux décrets en 1998 et 2003 modifient le Code de la Route pour une meilleure prise en compte des cyclistes

Le décret du 16 septembre 1998 dispose que les pistes et bandes cyclables sont exclusivement réservées aux cyclistes, que la circulation des cycles est autorisées dans les aires piétonnes et que la possibilité est laissée au maire dans le cadre de ses pouvoirs de police de rendre les pistes et bandes obligatoires, de même d’interdire la circulation des vélos sur telle aire piétonne.
Le texte permet la création de sas à vélos aux feux de circulation. Un espace de 1,50 m doit être respecté par les automobilistes qui dépassent un vélo en rase campagne. Enfin, les cyclistes de moins de 8 ans peuvent circuler sur les trottoirs, à la vitesse du pas.
Le décret du 27 mars 2003 constitue la deuxième série de modifications réglementaires à ce jour.
Il autorise les cyclistes à circuler sur les accotements équipés d’un revêtement routier. D’autre part, par exception à la règle du Code de la Route, il autorise le cycliste, hors agglomération, à serrer le bord droit de la chaussée avant de s’engager sur sa gauche.

3.5. Un cadre de financement,
jusqu’en 2003, pour les réseaux cyclables d’agglomération et les réalisations favorisant l’inter modalité vélo et transport public : la circulaire du 10 juillet 2001 prévoyait que ces réalisations, dans le cadre des PDU hors Ile-de-France, pouvaient être financées à hauteur de 35% par l’Etat. Dans la Loi de Finances pour 2004, cette ligne budgétaire a été supprimée.
Les réalisations en faveur du vélo dans le cadre des Plans de déplacements urbains, obligatoires (agglomérations de plus de 100 000 habitants) ou volontaires, ne bénéficient donc plus du concours de l’Etat.
La mise en œuvre du schéma national vélo routes et voies vertes trouve un cadre de financement dans les contrats de plan Etat-Région. Cependant, toutes les régions n’avaient pas inscrit un volet vélo routes dans leur contrat et toutes n’ont pas saisi l’occasion de leur révision en 2003 pour le rectifier.

3.6. Un réseau de correspondants vélo, dans les Directions départementales de l’Equipement et dans les Centre d’études techniques de l’Equipement (Cete), animé par le Certu

3.7. Une instance de suivi et de concertation nationale
:
le Comité de suivi de la politique du vélo en France réunit des représentants des ministères de l’Equipement, de l’Ecologie, des Sports et du Tourisme ainsi que des représentants des principaux acteurs institutionnels et associatifs du vélo.
Il joue un rôle de conseil auprès du Gouvernement et d’interface avec les différents échelons de mise en œuvre de la politique vélo. Son travail de réflexion et de préconisation est enrichi notamment de l’expertise du Certu.
Cependant, le Comité de suivi ne dispose d’aucun budget propre, donc d’aucun moyen d’étude, de promotion et de diffusion des bonnes pratiques. Il fonctionne sans secrétariat.
Après quelques années qui ont permis à ses membres de lancer la politique nationale des vélo routes et voies vertes (en élaborant le Schéma national adopté par le CIADT de 1998), de contribuer à faire avancer des éléments du dispositif national vélo comme les deux trains de mesures réglementaires ou la publication de l’Instruction de la Direction des routes et d’assurer une meilleure liaison entre les partenaires dispersés de la politique vélo, le Comité de suivi a procédé à une réflexion sur son rôle en début d’année 2002.
Compte tenu de l’absence de moyens et de stratégie nationale, ses membres ont convenu, à l’unanimité, qu’une redéfinition des objectifs s’imposait avant même de s’interroger sur la nature des prochains sujets de concertation et de réflexion. Si le bilan des travaux du Comité de suivi de la politique du vélo est positif, tant il a permis de constituer la « boîte à outils » indispensable (diffusée grâce au Recueil pour les aménagements cyclables/RAC édité par le CERTU 2000), la diffusion des connaissances et des bonnes pratiques au sein d’un petit réseau d’acteurs en contact avec des relais nombreux et efficaces, la mise au point d’une expertise et le rapprochement avec de nombreux partenaires étrangers, force est de constater que ce n’est pas son fonctionnement ni sa composition qui sont aujourd’hui en cause mais bien l’absence d’une véritable politique nationale du vélo en France… qu’il est en principe chargé d’éclairer.

3.8. Des recommandations techniques :

le RAC est l’ouvrage de référence des décideurs et des aménageurs. L’instruction du Directeur des routes du 31 octobre 2002 s’y réfère explicitement. Il convient de rappeler que ce manuel a été une des meilleures ventes des éditions du Certu en 2001, preuve à la fois d’un manque qu’il est venu combler et de la volonté des collectivités territoriales d’acquérir une culture technique des aménagements cyclables. 3.9. Des avancées sur le terrain : nombreuses sont aujourd’hui les réalisations en faveur de la pratique de la bicyclette initiées par les villes et agglomérations, les départements et les régions. Le nombre d’adhérents au Club des villes cyclables, passé de 10 villes en 1989 à plus de 550 aujourd’hui, ainsi que le réseau des 51 Conseils généraux réunis au sein de l’Association des départements cyclables sont à cet égard des indicateurs très positifs.

3.10. La mise en œuvre d’une politique vélo à la SNCF et la RATP :
depuis 1996, la RATP s’est engagée dans une politique ambitieuse en faveur du vélo. L’entreprise favorise la multi modalité dans son offre de transport et le vélo y a une place importante. Les Maisons roue libre qui permettent le stationnement sécurisé et l’entretien de vélos, près de stations de métro ou de RER, la location de vélos (la RATP est le premier loueur d’Ile-de-France) et la cohabitation des vélos et des bus dans les couloirs protégés, constituent les dispositifs principaux d’une politique vélo au cœur de la stratégie de développement de l’opérateur.
La SNCF a engagé depuis quelques années un travail important de concertation avec les associations d’usagers et ses principaux partenaires afin d’améliorer son offre multimodale tant pour le transport des vélos dans les trains que pour le rabattement vélo vers les pôles d’échanges.

3.11. Un milieu associatif dynamique :
la participation des associations de cyclistes à la concertation au plan local, comme au niveau national, est très caractéristique de la dynamique de ce secteur. Les associations locales ont souvent contribué à l’impulsion des premières initiatives locales en faveur de la pratique de la bicyclette et par la qualité de la concertation qui se mettait en place, encouragé la conception de programmes plus ambitieux et plus complets autour du vélo.

3.12. La Constitution d’un « lobby » en faveur de la promotion et du développement du vélo.

La création, au printemps 2001, du Comité de promotion du vélo représente une avancée significative. Il a été mis en place par les professions du cycle françaises membres de Tous à vélo, du Conseil national des professions du cycle, de la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUBicy) et du Club des villes cyclables.
Ce comité rassemble désormais toute la famille du vélo dans notre pays : les grandes fédérations sportives (FFC et FFCT), l’Association des départements cyclables, l’Association française des vélo routes et voies vertes, les Amicales cyclistes parlementaires ont en effet rejoint les fondateurs.
Ce rassemblement a permis de définir les priorités d’une relance du vélo en France, la mise en commun de problèmes et la recherche collective de solutions, une meilleure priorisation des thèmes à traiter et la constitution d’un front uni, interlocuteur privilégié des pouvoirs publics.

En conclusion provisoire, à l’examen de cet état des lieux,

il apparaît que de nombreux outils sont en place, que leur pertinence n’est pas en cause, bien au contraire, mais que le cadre général ne favorise pas leur mise en cohérence ni leur optimisation.
Ce ne sont pas les moyens qui font défaut, mais la lisibilité indispensable qui permet de repérer et de mobiliser l’ensemble des moyens.
La comparaison avec les pays européens, qui connaissent une forte pratique de la bicyclette, met en évidence que la détermination d’objectifs nationaux chiffrés faisant l’objet d’un suivi strict (aux niveaux local et régional) et d’évaluations régulières, a été déterminante.
En subordonnant les autres éléments du dispositif d’incitation nationale – subventions d’initiatives locales, labels de qualité type « ville durable »… - à l’atteinte de ces objectifs quantifiés nationaux, ces Etats, même fortement décentralisés, ont créé les conditions d’une dynamique nationale autour d’un enjeu fort et lisible. Par ailleurs, des éléments du dispositif français actuel auraient nécessité une attention plus particulière et une volonté d’opérer des changements rapides et conséquents, faute de quoi les évolutions ne peuvent qu’être très lentes. Nous pensons, notamment à la formation des personnels de l’Etat et plus généralement de l’ensemble des aménageurs (pas seulement les spécialistes de la voirie mais aussi les urbanistes, architectes, paysagistes…) qui doivent abandonner, sans délai, leurs réflexes « routiers », afin de mettre en œuvre les orientations nationales privilégiant la connexion entre transport et urbanisme pour un développement urbain véritablement durable.
De même, le déficit d’information du public et de promotion des modes doux contribue à la lenteur avec laquelle s’opèrent les changements de comportements.


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